Évasion meurtrière à Rambouillet

Évasion meurtrière à Rambouillet

Le11 juin 1926, vers 12h00, la prison de Rambouillet (78) va connaître un drame sans précédent.Un surveillant de l’établissement : Eugène LENORMAND, 32 ans, ancien sous-officier décoré de la Croix de guerre, va être assassiné par trois jeunes détenus en mal de liberté !

Pour cet ancien militaire ayant participé aux combats meurtriers de la Première Guerre mondiale, c’est un premier poste au sein de l’administration pénitentiaire. Il a bénéficié d’un emploi réservé, comme la chose se faisait alors fréquemment à cette époque. Le recrutement de surveillants, alors nommés « Gardiens de prison » posait déjà quelques problèmes. Les candidats ne se bousculant pas à la porte, l’apport d’anciens militaires et policiers permettait de pourvoir quelque peu au manque flagrant de personnel qualifié…Eugène Lenormand, qui habitait alors, avec son épouse et sa fillette âgée de cinq ans, dans un modeste appartement au n° 19, de la rue Lachaux, non loin de la prison, semblait satisfait de ses nouvelles fonctions. Respectueux et tolérant envers les pensionnaires de cette« Maison d’Arrêt et de Correction », selon la dénomination officielle.

La prison de Rambouillet

Cette même prison de Rambouillet était située rue du Moulin, devenue depuis la rue Pasteur. Elle n’avait rien d’un centre carcéral de grande envergure. En cette même année 1926, ce grand bâtiment gris aux nombreuses fenêtres munies de barreaux, hébergeait 38 détenus de droit commun. Ils étaient placés sous la surveillance de trois gardiens le jour et trois autres la nuit, lesquels tournaient en brigades. C’était bien peu ! Toutefois, il convient de prendre en compte le fait que les pensionnaires de la prison de Rambouillet n’étaient pas réputés « à risque ». Les condamnés les plus dangereux sont alors hébergés à la Maison d’Arrêt de Versailles, prison Saint-Pierre, alors que ceux de Rambouillet étaient des hommes condamnés à de courtes peines, une année au maximum. Il n’y avait aucun grand criminel en ce lieu. Du moins jusqu’à ce jour du 11 juin 1926 !

La Maison d’arrêt et de correction de Rambouillet fermera ses portes vers 1970. Elle sera alors détruite. Son emplacement du 2, rue Pasteur, sera alors réaffecté à la construction de l’actuel Hôtel des Finances.

Le drame

Vers midi, les effectifs sont des plus réduits. Le gardien chef est brutalement tombé malade et n’a pu être remplacé. Ils ne sont, de fait, que deux surveillants dans l’établissement. Or, quelques jours plus tôt, trois nouveaux détenus sont arrivés à Rambouillet. Il s’agit de jeunes gens placés en détention préventive par un juge d’instruction. Ils sont compromis dans plusieurs affaires de vols avec violences, commis dans les environs de Limours. Il s’agit alors des nommés :

François BARRÈRE, alias ROTH, né à Paris, le 19 mai 1903 (21 ans) ;

Gabriel MONFORT, né à Montigny-les Cormeilles, le 11 juillet 1904 (22 ans) ;

– Henri-Georges MOTILLON, né à Poitiers, le 16 avril 1906 (20 ans).

Grave erreur que la presse ne manquera pas de relever. Tous, malgré leur jeune âge, sont récidivistes et ont déjà un connu l’univers carcéral dans le cadre de vols et agressions de personnes ! Ils n’auraient donc pas dû être incarcérés dans un établissement pénitentiaire peu sécurisé, comme pouvait l’être la prison de Rambouillet. Il y a donc une lourde faute de l’administration en ce domaine !

Vers 12h00, le collègue de Lenormand s’absente pour prendre sa pause déjeuner. Eugène Lenormand reste donc seul dans les lieux avec 38 détenus à gérer… A priori, le risque est limité, puisque à ce moment tous les pensionnaires sont bouclés dans leurs cellules. Or, en peu de temps, la situation va tourner au drame ! Les trois jeunes détenus vont profiter de ce laps de temps pour tenter et réussir une évasion peu banale. Voici ce que dira Gabriel Monfort lors de son audition dans le cabinet du juge d’instruction, juste après son arrestation :

«  J’ai profité de ce que le gardien Lenormand était seul dans la prison. Je lui ai fait croire que Motillon était gravement malade et qu’il fallait faire quelque chose avant qu’il ne soit trop tard. Il a donc ouvert la porte de notre cellule, car mon copain Motillon était détenu avec moi. Sitôt la porte ouverte, je le saisissais par derrière et le neutralisait. Dans un même temps, Motillon lui serrait le cou avec une serviette humide. Une fois ce gardien mort, nous avons pris ses clés et sommes partis délivrer Barrère qui se trouvait dans une autre cellule, au premier étage. Puis, nous sommes allés au vestiaire pour changer de vêtements. Barrère et Motillon ont pris chacun un revolver dans l’armoire des armes, puis, nous avons immédiatement pris la fuite en ouvrant toutes les portes au moyen du trousseau de clés du gardien Lenormand, y compris la porte principale, celle donnant sur la rue… »

Or, un témoin assistera à ce départ précipité de la prison. Il voit alors trois jeunes hommes sortir en courant, laissant la porte grande ouverte et s’enfuir dans la rue du Moulin. Réalisant qu’il s’agit très certainement d’une évasion, il se précipite vers la gendarmerie de Rambouillet, laquelle est située non loin de là ! Peu après, les gendarmes découvriront le corps sans vie du gardien Eugène Lenormand. L’alerte est immédiatement donnée et, en faisant l’appel des prisonniers, ils constateront l’évasion de trois jeunes détenus, les nommés Monfort, Barrère et Motillon. Plus grave encore, deux revolvers d’ordonnance, Saint-Etienne modèle 1892, ont également disparu !

La longue traque

L’alerte générale est maintenant lancée. La gendarmerie, les gardes-forestiers du massif de Rambouillet, ainsi que des soldats du 4e régiment de Hussards sont immédiatement mobilisés et cernent les bois des environs. Toutes les brigades de gendarmerie du secteur sont mises en alerte maximale. La 1ère brigade mobile de police judiciaire (les fameuses brigades du Tigre) est saisie par le parquet de Versailles. Les forces de l’ordre disposent en peu de temps d’un élément important, la tenue vestimentaire des trois évadés.

– François Barrère, 21 ans, taille 1,76m, cheveux bruns, moustaches brunes, vêtu d’un veston gris et pantalon de même teinte, gilet bleu, chapeau mou en feutre noir, souliers de couleur beige ;

– Gabriel Montfort, 22 ans, taille 1,70 m, cheveux châtain clair, gilet et veston bleu, pantalon gris, souliers jaunes. A le pouce de la main gauche coupé à la première phalange ;

– Henri-Georges Motillon, 20 ans, taille 1,70 m, cheveux châtain clair, moustaches blondes, chemise kaki, gilet et veston gris, pantalon de velours, casquette grise, souliers noirs.

Les premières recherches seront négatives. Visiblement les évadés sont parvenus à passer à travers les mailles du filet tendu par les forces de l’ordre.A pied, à travers bois, à bicyclette, ils vont entreprendre un long périple permettant de tracer leur parcours : Rambouillet, Bonnelles, Limours, Briis-sous-Forges, Breuillet, Arpajon, Corbeil et Paris.

Dans la soirée, un communiqué officiel du ministre de la justice fera connaître que le surveillant Lenormand, décédé au cours de l’évasion de trois détenus, est désormais titulaire de la médaille pénitentiaire à titre posthume. Ce qui, dans de telles circonstances, lui sera certainement d’un grand secours !

Première arrestation

Les faits seront relatés très brièvement par le journal Excelsior dans son édition du 13 juin 1926.

« Un des trois assassins de M. Lenormand, gardien à la prison de Rambouillet, a été arrêté ce matin près d’Arpajon. Il s’enfuyait à bicyclette en compagnie de ses complices. Ceux-ci, traqués dans le parc du château de Mongermont où ils s’étaient réfugiés, on pu échapper aux gendarmes et aux gardes particuliers. Les recherches se sont poursuivies vainement toute la nuit… »

Nous avions perdu leur trace à Rambouillet et voici maintenant les évadés près d’Arpajon, soit à une quarantaine de kilomètres plus loin ! Une explication s’impose. Peu avant minuit, le soir de l’évasion, ils sont repérés à Bonnelles. Ils viennent alors de dérober deux bicyclettes sur le plateaud’un camion de déménagement et de prendre la fuite en direction de Limours. La brigade de gendarmerie locale est avisée. Les gendarmes de Limours vont immédiatement mettre en place un dispositif de surveillance sur l’axe allant de Bonnelles à Limours. Peu après, les trois meurtriers, montés sur deux bicyclettes, arrivent sur le point d’interception. Mais, malgré les sommations suivies de tirs de carabines, les malfaiteurs font demi-tour et leur piste est provisoirement perdue entre Limours etBriis-sous-Forges.Vers deux heures du matin, l’un des évadés est localisé sur la R.N.20 à hauteur d’Arpajon. Les gendarmes procèdent alors à son interpellation. Cet individu, qui n’est autre que Gabriel Monfort, se laisse prendre sans opposer la moindre résistance. Les gendarmes vont ainsi apprendre que les trois comparses se sont séparés vers Limours, après avoir essuyé les tirs de sommation de la gendarmerie. En cette occasion, Monfort pense que François Barrère aurait été très légèrement blessé par une balle. Il dira également que les revolvers dérobés à la prison seraient en possession de ses deux complices en fuite. Au petit matin, les gendarmes vont apprendre que ces derniers auraient été aperçus dans la région de Corbeil. Officiellement ils circulent à pieds, car leur bicyclette vient d’être découverte. Elle a été abandonnée dans une ruelle de Limours juste après les tirs de sommation. Or, entre Limours et Corbeil, la distance est de 41 km. Un trajet impossible à réaliser pédestrement en si peu de temps. Ils ont donc disposé d’un autre moyen de locomotion !

Les obsèques de M. Lenormand

Ils se dérouleront à Rambouillet, le 15 juin 1926, en présence de nombreuses personnalités : M. Bonnefoy-Sibour, préfet de la Seine-et-Oise représentant le gouvernement, le ministre de la justice, Pierre Laval, alors représenté par son chef de cabinet, ainsi que Marie Roux, maire de Rambouillet accompagné de membres de son conseil municipal. Après la cérémonie, la dépouille du gardien Eugène Lenormand sera acheminée en Charente, dans la région de Saintes, pour y être inhumée.

Fin de la traque

François Barrère sera appréhendé le 16 juin à Paris (Porte de Vincennes) au moment où il venait de prendre place dans un tramway à destination de Nogent-sur-Marne. Les policiers de la PJ parisienne avaient monté une surveillance au domicile de son amie Yvonne Hudson, rue d’Avron à Paris 11e. Ils l’ont donc pris en filature à partir de ce point de chute. Lors de son interpellation, il était porteur de l’un des deux revolvers dérobés lors de son évasion. Mais, étant donné la rapidité de cette arrestation, il n’aura guère le temps d’en faire usage ! Barrère sera conduit au 36, quai des Orfèvres dans l’attente de son transfert sur Versailles. Et de deux ! Le lendemain matin, vers 4h00, c’est au tour de Henri Motillon de tomber entre les mains de la police judiciaire. Il est interpellé pendant son sommeil, alors qu’il a trouvé refuge dans un local technique de l’école des travaux publics à Arcueil-Cachan. Il était armé du second revolver et d’un couteau à cran d’arrêt.

Le procès des assassins

Il s’ouvrira le 1er mars 1927 devant la Cour d’Assises de Seine-et-Oise à Versailles. Les trois accusés : François Barrère, Gabriel Montfort et Henri Motillon, auront à répondre d’un crime particulièrement odieux : l’assassinat du gardien de prison Eugène Lenormand. Les débats sont menés par le président Sugier et le ministère public (l’accusation) a été confié à M. Caiblé, procureur de la République. Le jury devra se baser sur pas moins de cinquante-six questions. Le verdict tombe dans la soirée du 4 mars 1927. Les jurés ont rendu un verdict affirmatif à toutes les questions posées. La Cour se retire alors pour les délibérations. Lorsqu’elle réintègre la salle d’audience, vingt minutes plus tard, le président Sugier prononce alors la condamnation à mort des trois accusés. Toutefois, Barrère et Motillon ayant fait preuve de remords tardifs, dans le cadre d’un recours en grâce, verront leurs peines commuées en travaux forcés à perpétuité.

Seul Gabriel Montfort, dont le rôle fut jugé déterminant dans cet assassinat, sera exécuté le 5 juillet 1927, devant les portes de la prison Saint-Pierre à Versailles. A 4h40, le lourd couperet de la guillotine d’abat sur la nuque du jeune homme. Sa tête tombe dans la bassine garnie de sciure de bois. La justice des hommes vient de passer !

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Crédit photo & © Copyright : Michel Malherbe

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