Odyssée d’une mystérieuse cuisinière

Affaire LandruOdyssée d’une mystérieuse cuisinière

Comme nous l’avons démontré précédemment dans un ouvrage publié en 2017, il est techniquement impossible que le « Saigneur » de Gambais, Henri-Désiré Landru, l’homme qui remplaçait avantageusement les époux décédés ou en voyage, puisse avoir fait disparaître les corps de ses nombreuses victimes supposées dans une si petite cuisinière ! Même en démembrant totalement les cadavres de ces pauvres femmes, il se serait heurté à des problèmes techniques insurmontables : taille du foyer et indices thermiques nettement insuffisants ! Les idées fausses ont souvent la vie dure… Néanmoins, la légende de cette fameuse cuisinière à charbon de Gambais survivra, longtemps encore, après la mort sur l’échafaud du vilain barbu.

La cuisinière en question

Ce sera le premier achat de Landru en arrivant à Gambais.  Il passera commande d’un calorifère auprès d’une quincaillerie de Houdan et n’oubliera pas de prendre six sacs de charbon en cette occasion. Il s’agissait d’une cuisinière de petite taille, en fonte émaillée et tôles d’acier, produite par les Forges et Fonderies Songland. Landru, toujours aussi radin, avait alors opté pour le modèle le moins cher, l’Arcade n° 5.

– Les dimensions étaient les suivantes : Longueur 77cm – Largeur 45 cm – hauteur 80 cm. La taille du foyer était de 25 x 23 x 30 cm. Elle ne convenait donc pas à l’incinération d’un corps, même démembré… Landru a vraisemblablement incinéré des éléments d’identification tels que des mains, dents et fragments de crânes. Cette évidence n’a pas échappé au fin renard nommé Landru, puisqu’il fera parvenir au président de la Cour d’Assises de Versailles, juste après son procès, le courrier suivant :

« N’est-pas qu’elle vous a bien fait peur ma petite cuisinière, toute seule dans ce grand prétoire ? Non pas la peur que certains pourraient croire, mais une autre, tout à votre louange. Vous m’avez reproché d’être dur. L’ai-je été ce jour là ? J’aurais pu demander qu’on montre son foyer, grand, tout au plus, comme une gamelle de poilu, et dans lequel vous voulez m’avoir fait brûler tant de victimes ! Tout le monde aurait alors souri devant une telle baliverne… »

En dehors de la taille inadaptée à l’incinération de corps humains, se greffe un autre problème important, celui de la capacité thermique de ce calorifère à charbon.

– Au plan technique, l’incinération d’un corps dans un crématorium professionnel nécessite près de deux heures sous une température constante de 1000° ;

– A ce stade, les chairs sont totalement consumées, mais les os longs, bien que fissurés sous l’effet de cette intense chaleur, sont encore entiers. Raison pour laquelle les professionnels des crématoriums utilisent une broyeuse dotée d’une meule, dans le but de réduire ces os en cendres susceptibles de prendre place dans une urne funéraire ;

– Enfin, un calorifère de cuisine comme celui utilisé par Landru, ne pouvait supporter sans danger une chaleur supérieure à 350-400°, seuil de danger, car risque très probable d’implosion du foyer par rupture de la fonte ou feu de cheminée, la tubulure étant alors porté au rouge ! Nous sommes bien loin des 1000° nécessaires…

La chaude vedette du procès…

Après bien des péripéties et de nombreux voyages, cette pièce à conviction deviendra une pièce de collection très prisée. Elle serait aujourd’hui la propriété de Laurent Ruquier, animateur de radio-télévision, producteur et directeur du Théâtre Antoine (lequel théâtre fut jadis sous la responsabilité de notre grand-oncle, le comédien Marcel Paston). L’animateur bien connu serait un passionné de l’affaire Landru. Laurent Ruquier a, du reste, monté une magnifique pièce sur le sujet. En cette occasion, la cuisinière de Landru fut exposée dans le hall du Théâtre Marigny en 2005.

Mais, avant cela, ce malheureux calorifère aurait connu bien des aventures. Elle sera notamment la vedette de la salle d’audience, lors du procès Landu, en novembre 1921 à Versailles. Un cliché d’agence montre des hommes de peine (ils semblent effectivement en avoir…) occupés à faire entrer cette lourde et encombrante pièce à conviction par l’une des étroites fenêtres du prétoire. D’autres clichés la montre, majestueuse et inquiétante, trônant devant l’estrade du jury. En février 1923, cette cuisinière – vedette des pièces à conviction de l’affaire Landru – aurait été adjugée à M. Anglade, directeur du musée Grévin à Paris, lors d’enchères publiques, au prix de 4.200 francs de l’époque. Voici un article de presse relatant cette vente très originale :

La cuisinière de Landru est vendue 4.200 francs !

(L’Ouest-Éclair, n° 7 786 du 28 janvier 1923)

Versailles, 27 janvier. Aujourd’hui a eu lieu, dans la salle de la Cour d’Assises, la mise aux enchères publiques d’une partie des pièces à conviction du procès Landru. Le prétoire n été spécialement aménagé. Sur le bureau de justice où siège le président de la Cour, un certain nombre de males, tableaux, parapluies, etc. ont été placés. Au milieu de tous ces objets hétéroclites on remarque la fameuse cuisinière. Aussitôt l’ouverture des portes, une foule nombreuse envahit la salle. A 1 h. 15 la vente commence. C’est M. Béguin, receveur des Domaines de Seine-et-0ise, frère de M. Béguin, l’avocat général qui requit la condamnation de Landru qui y procède.

Trois pneumatiques d’automobile sont adjugés 85 francs.

Un petit cachet en cuivre portant les initiales de Landru atteint la somme de 400 francs.

Après la vente de mèches de cheveux, de peignes et de parures de cheveux, la trop fameuse cuisinière est adjugée 4.200 fr.

La vente des pièces à conviction a produit une somme totale de 7.180 francs.

Cette mystérieuse cuisinière aurait également été, un temps, la propriété de M. Marcel, le célèbre dompteur de fauves, lequel disposait d’une sorte de petit musée itinérant du crime. Voici ce que notre homme raconte, à ce sujet, à un journaliste de Paris-Soir, le 18 janvier 1931 :

«  C’est ainsi que j’ai acheté la cuisinière de Landru. Savez-vous combien je l’ai payé ?  Cinq mille francs ! Neuve elle valait peut être cinq cents francs… Puis, je l’ai revendue 25000 francs… Bonne affaire !… à un bonhomme qui voulait la montrer en Italie. Mais lorsqu’on l’a vu de l’autre côté des Alpe, avec sa baraque, sa cuisinière et son grand calicot, on l’a refoulé sur le territoire français… Alors, il me l’a recédée pour 5000 francs ! »

Ce propos est confirmé par un autre recoupement d’archives. Cet Italien, montreur de curiosités, l’avait payé 40.000 lires à son premier acquéreur. Elle devait initialement être montrée à Turin à l’occasion d’une exposition itinérante, moyennant un droit d’entrée assez minime. Mais, à la suite d’une campagne menée par un journal italien, lequel estimait cette présentation scandaleuse, la police turinoise en avait interdit l’exposition. Elle va donc revenir en France pour faire à nouveau les gros titres de la presse.

Enfin, voici une brève publiée par le journal Le Populaire dans son édition du 17 juin 1923  à la rubrique « faits divers des Bouches-du-Rhône » :

Marseille – On essaie de voler la cuisinière de Landru

« Cette nuit, au cours d’une ronde, les gardiens du Prado-Luna-Park, ont surpris trois individus qui tentaient de s’introduire dans une baraque où était exposée la fameuse cuisinière de Landru. Les malfaiteurs purent s’enfuir après avoir échangé plusieurs coups de feu avec les gardiens. Ils ont laissé sur les lieux une pince de gros calibre (sic)… »


Extrait de l’ouvrage « Landru, le prédateur aux 283 conquêtes » par Michel Malherbe.  © 2017 (Texte et photos sont la propriété de l’auteur et des Editions Ramsay-Marivole)

Michel Malherbe (Ecrivain-Historien) Facebook : https://www.facebook.com/michel.malherbe.1238 Crédit photo & © Copyright : Michel Malherbe