Affaire Landru – Que sont devenus les corps ?
Comment Landru aurait-il tué les onze personnes recensées à ce jour et comment aurait-il fait pour se débarrasser des corps ? Plus de cent ans après, l’énigme reste entière. Toutefois, pour avoir enquêté durant près de deux ans sur cette affaire, dans le cadre d’un ouvrage que nous avons publié depuis (2019), et consulté près de 5700 pièces du dossier judiciaire, nous avons une petite idée sur la question. Des pistes certes, mais aucune certitude. Au plus, des hypothèses qui semblent tenir la route…
Les hypothèses les plus réalistes
Gambais
On a longtemps cherché par quel moyen le tueur présumé avait pu évacuer les cadavres de la villa, car il est certain que l’incinération totale était techniquement peu réalisable avec les moyens du bord. La petite cuisinière à charbon était dotée d’un foyer trop étroit, car Landru fidèle à sa légendaire avarice, avait opté pour un petit modèle de cuisinière, bien moins cher à l’achat. De plus, brûler environ 25 kg d’os par corps n’est pas simple. Une petite expérience accessible à tous le démontre. Prenez un os de gigot et placer le dans les braises de votre cheminée ou dans votre poêle. Ensuite comptez le temps nécessaire, en nombre d’heures, pour obtenir une combustion totale. C’est impressionnant ! De plus, le dépeçage d’un corps humain – outre le fait d’avoir le cœur solidement accroché et des connaissances de base en anatomie – nécessite un certain nombre d’outils tranchants. Or, rien de tel ne sera découvert dans la villa de Gambais, mis à part quelques lames destinées à des scies et un tranchoir à viande. Landru, arrêté au moment où il ne s’y attendait le moins, n’a pas eu l’occasion de faire disparaître cet outillage. Il a pourtant acheté une grande quantité de lames de scies, mais aucune ne sera retrouvée lors des perquisitions. Autre interrogation, portant sur une question pourtant simple, mais que personne ne semble s’être posée par les enquêteurs et le magistrat instructeur. Sachant que Landru passait assez peu de temps dans la villa de Gambais et qu’il restait parfois des semaines sans y mettre les pieds, qu’il ne pouvait techniquement démembrer un corps humain en si peut de temps, que la maison ne comportait aucun endroit réfrigéré ou dispositif technique susceptibles de maintenir les cadavres à une température retardant au maximum la décomposition de ces mêmes dépouilles, que faisait t-il de ces malheureuses victimes ? Les proches voisins ont bien évoqué une odeur de chair brûlée, mais il ne fut jamais question d’une odeur de charnier. Car, dans le cas d’un cadavre en décomposition, le phénomène intervient très rapidement après la mort. Il dégage alors une odeur épouvantable et difficilement supportable. Les fouilles, bien qu’imparfaites n’ont révélé aucune inhumation clandestine dans le jardin de cette villa. Landru est bien Monsieur Mystère… La réponse la plus plausible est qu’il évacuait rapidement les dépouilles hors de cette maison, en un lieu où il ne pouvait directement être mis en cause ! Evacuations nocturnes, bien entendu, pour des raisons évidentes de discrétion, lesquelles nécessitaient obligatoirement un moyen de transport.
L’automobile de Landru
Durant les investigations, on a parlé d’une automobile conduite par Landru en personne. Information exacte, puisque l’enquête va faire apparaître cet élément de poids : Henri Désiré Landru avait passé très tôt l’examen du permis de conduire. Il était officiellement propriétaire d’une voiturette De Dion Bouton, modèle 1903, type R. Véhicule modifié en camionnette par ses soins et qui sera maintes fois utilisé pour transporter le mobilier des malheureuses victimes. Partant du principe que Landru était parfois motorisé, rien n’était alors plus facile que de charger les restes de sa victime du moment, dans l’automobile, pour s’en débarrasser dans un endroit plus tranquille. Ils étaient nombreux les endroits calmes autour de Gambais. À commencer par le massif de la forêt de Rambouillet, immense et assez peu fréquenté à cette époque. Et puis, il y a quelques étangs assez profonds autour de la villa Tric. Certains seront partiellement fouillés lors de l’enquête mais sans succès. Il est vrai que dans l’étang des Bruyères, par exemple, le fond était tapissé d’une couche de vase de plusieurs mètres et que le temps aidant, il convenait de rechercher des ossements humains. Des procès-verbaux de témoignages affirment, en effet, que Landru aurait été vu jetant, de nuit, de gros sacs dans cette pièce d’eau. La particularité de cet étang, à cette époque, sera qu’il regorgeait de gros brochets. Poissons carnivores par excellence. En pleine Première Guerre mondiale, les hommes étaient au front et la pêche pratiquement inexistante. Donc, les chairs étaient dévorées par la faune piscicole en peu de temps !
Les étangs de Gambais
Dès le début de l’enquête la Sûreté générale aura l’intime conviction que, faute d’avoir eu la faculté d’incinérer totalement les corps des disparues, Landru pouvait avoir utilisé les moyens à sa disposition pour se défaire des parties les plus importantes des cadavres. Disposant d’une automobile, le cruel fiancé de ces dames, avait alors la possibilité de les immerger dans les étangs proches. Surtout à Gambais. Voici deux témoignages allant en ce sens.
Une pêche macabre…
Un habitant de Gambais va rapporter aux enquêteurs un fait pour le moins étrange. M. Mauguin, c’est le nom de ce témoin, se trouvait – un jour de mai 1918 – à la pêche dans un petit étang qui est situé entre le village et la maison louée par Landru. A un moment, il vit à la surface de l’eau un objet flottant non identifié, une chose blanchâtre d’un volume assez imposant. Il s’en dégageait une forte odeur de charogne. Il pensera tout d’abord à un cadavre de chien. Mais étant parvenu à ramener cette chose vers la berge, au moyen de sa canne à pêche, il constate qu’il s’agit d’un très gros morceau de viande en putréfaction avancée. Pensant alors qu’il se trouve en présence des restes d’un animal jeté en appât aux nombreux brochets qui peuplent l’étang, il repousse l’odorant paquet vers le centre de cette pièce d’eau.
En rentrant chez lui, M. Mauguin racontera cet incident à son épouse, disant alors qu’il s’agit certainement d’un sanglier, lequel s’est noyé dans l’étang en venant s’abreuver. Explication d’autant vraisemblable que la chose s’est déjà produite par le passé. Il se souviendra par la suite d’un morceau de chair assez lourd et volumineux, d’une quarantaine de centimètres de long. Il était recouvert d’une peau blanchâtre et lisse, mais striée de lignes violettes. A ce moment, le brave homme n’avait pas encore réalisé qu’un sanglier est généralement couvert de poils… Il est vrai que, même en temps de guerre, on ne mange pas de la chair humaine tous les jours… Il ne pouvait donc savoir !
Note de l’auteur : Après recoupements, nous avons constaté que cette période correspondrait assez bien à celle de la disparition de la 10e victime : Anne-Marie Pascal (38 ans).
Peu après, un second témoignage spontané arrive à la première brigade mobile. Il relate des faits plus anciens, environ une année. Cette fois le témoin apporte des éléments qui ne laissent aucune place au doute !
C’est grave docteur ?
Voici donc ce second témoignage. Encore plus surprenant que le premier, il émane d’un médecin-major alors affecté à un régiment de cavalerie basé à Vincennes, près de Paris. Cet officier, Jean Monthalet, est domicilié au 82, avenue de Bonneville à Aulnay-sous-Bois. Vers le début du mois de mai 1917, il est venu à Gambais rendre visite à sa tante, mère supérieure du couvent de cette commune (Communauté religieuse des Sœurs de Saint-Vincent-de-Chartres). Le lendemain, vers 21 heures, le major quitte Gambais. Sa permission étant terminée, il doit rejoindre son régiment d’alors, le 82e Génie, en garnison à Versailles. Ayant raté le train à Houdan. Il décide de regagner Versailles à bicyclette. Le temps est clément, il a fait beau toute la journée et le paysage est éclairé par un clair de lune superbe. On se croirait en plein jour, tant la visibilité est bonne. En passant devant la villa de Landru, située à la sortie du bourg, il remarque qu’une fenêtre du rez-de-chaussée est éclairée et qu’une camionnette automobile stationne devant la porte, capot tourné en direction du village, donc de Versailles. Parvenu près du chemin en pente qui conduit vers l’étang des Bruyères situé à deux kilomètres de la villa, sur la route de Gambaiseuil, il s’aperçoit que son pneu avant est à plat… M. Monthalet pousse donc son vélo en retrait de la route, et le positionne roues en l’air, près de l’étang, endroit où la lune éclaire parfaitement. Il dispose d’un nécessaire de réparation sous la selle et se met immédiatement au travail, ce qui va prendre une vingtaine de minutes. La dernière rustine collée sur la chambre à air et le pneu gonflé, le militaire remet la bicyclette sur ses roues et s’apprête à repartir, lorsqu’un bruit de moteur attire son attention. Une auto vient de stopper, tous feux éteints à une vingtaine de mètres de lui, sur l’autre rive. Le conducteur ne semble pas l’avoir vu, mais lui, a parfaitement reconnu la camionnette qui stationnait devant la villa de M. Tric. Intrigué, le médecin major pose son vélo dans un buisson, puis sans trop savoir pourquoi, il observe la scène en restant à l’écart de la zone de lumière. De ce point d’observation, il voit alors un homme de petite taille, mince et barbu, vêtu d’une sorte de costume de chasse et coiffé d’une casquette sombre, descendre du véhicule. Il pense alors être en présence d’un braconnier. Peu après, le barbu, chargé d’un gros paquet, prend la direction de la berge. A cet endroit se trouve une jetée en terre formant une avancée sur l’étang. Parvenu au bout, le barbu jette son paquet à l’eau, ce qui produit un énorme « plouf ». L’homme a été éclaboussé. Il frotte ses vêtements du plat de la main. Après quelques minutes passées à la contemplation de l’eau, ce mystérieux promeneur noctambule rejoint sa camionnette et met le moteur en marche. Le véhicule démarre, feux éteints, quelques instants plus tard et s’éloigne en direction du bourg de Gambais. Le médecin, pensant avoir été témoin d’un braconnage, remonte sur son vélo et poursuit sa route vers son casernement. C’est seulement deux ans plus tard, après l’arrestation de Landru, qu’il fera le rapprochement. Ce barbu figurant en première page d’un quotidien national, en costume de chasse et casquette, est bien le mystérieux homme de l’étang des Bruyères… Lors de son audition devant le commissaire Dautel, cet officier déposera un plan manuscrit assez détaillé, dans le but de mieux comprendre les faits qu’il a constaté. Ce plan sera joint à la procédure en cours.
Note de l’auteur : Une nouvelle fois, en recoupant les dates, nous avons constaté que cette période décrite par le médecin militaire – fin avril début mai 1917 – correspondrait à celle de la disparition de la jeune Andrée Babelay (19 ans). Une bien étrange coïncidence, ne trouvez-vous pas ?
Les recherches
Bien entendu, confortés par ces deux témoignages, les policiers, sur commission rogatoire du juge Bonin, vont faire sonder l’étang des Bruyères. Mais les recherches seront vaines. Cet étang présente alors une profondeur de quinze mètres en certains endroits ainsi qu’une couche de vase pouvant atteindre deux à trois mètres. De plus, il est très vaste et les moyens de l’époque ne permettent pas la réalisation de prouesses techniques. Pour sonder ces étangs, car il y en a plusieurs dans ce périmètre, on a pensé, en premier lieu, à faire appel à la brigade des Sapeurs-pompiers de Paris, unité d’élite et corvéable à merci… Mais les « soldats du feu » ayant répondu qu’ils n’étaient ni vidangeurs, ni chacals, ni « croquemorts », la justice se trouve alors dans l’embarras ! On va cependant faire appel à la brigade fluviale de la police parisienne, laquelle va effectivement entreprendre des recherches. Mais en vain ! Après trois journées, au cours desquelles les hommes de la Fluviale ont pataugé dans une vase visqueuse et nauséabonde, crochets et gaffes en mains, le résultat est bien maigre. Ils ont trouvé : deux gros cailloux, une chaussette et un gros morceau d’os d’origine indéterminé, mais qui, selon les experts, serait d’origine animale et aurait séjourné plus de trente années dans ces eaux limoneuses ! Avant l’opération de la brigade Fluviale, le plan d’eau avait été partiellement vidé. Les poissons, récupérés par l’association piscicole locale, seront réintroduits par la suite. Car, en temps normal, cet étang regorge de gros et voraces brochets. Selon les pêcheurs locaux, certains spécimens pouvaient même atteindre les trente livres ! En cette période de guerre, les hommes de la région avaient d’autres préoccupations plus urgentes que la pêche. Ces carnassiers pouvaient donc se reproduire en toute quiétude. D’autant que Landru assurait, semble t-il, la subsistance occasionnelle de cette faune piscicole !
De quoi donner la chair de poule…
« Un témoin a fait, hier, une déclaration absolument effarante à M. Dautel, le commissaire de la première brigade mobile. Ce témoin, M. G…, un aviculteur, a raconté qu’il s’entretenait assez fréquemment avec « le voisin » Dupont (Landru), que paraissaient intéresser beaucoup l’élevage des poulets réputés de la région de Houdan. Landru le questionnait sur la façon d’installer les couveuses, les poulaillers, et l’aviculteur supposait que son interlocuteur avait l’intention, lui aussi, de se livrer à l’élevage. On était en pleine guerre ; les restrictions visant le blé et les graines, gênaient fort les aviculteurs de la région. La nourriture des volailles devenait un problème. Un jour que M.G., qui exprimait son ennui de cette disette si préjudiciable, son voisin Landru lui dit, en le regardant attentivement :
– Mais les poulets, cela ne se nourrit pas seulement avec du grain : ça mange de tout. Est-ce que certains éleveurs ne les engraissent pas avec de la viande ?
– C’est exact, dit l’aviculteur, on peut donner de petites boulettes de viande, mais c’est un peu échauffant, et puis cela coûte cher ! Comment voulez-vous faire en ce moment où la viande se raréfie ?
– Ah ! Fit Landru… Vous n’avez pas besoin de donner à vos bêtes du filet ou de l’entrecôte ; on peut facilement se procurer des débris, des déchets. J’ai des amis aux abattoirs de Paris. Si j’entreprenais la fabrication de boulettes de viande pour nourrir les poulets ? Qu’est-ce que vous en pensez ?
La réponse de l’aviculteur fut évasive, il dit qu’il faudrait voir… faire un essai, et on en resta là. Mais en rapportant cette conversation, hier, à M. Dautel, M.G…, a ajouté :
– Je me souviens très bien de la façon bizarre avec laquelle me regardait Landru en me faisant sa singulière proposition, du ton de ses paroles, et, aujourd’hui que je sais ce que faisait cet homme, je suis persuadé qu’il a pensé à hacher les cadavres de ses malheureuses victimes pour en faire de la pâtée pour les poulets !
(Le Journal – 5 mai 1919)
Vaines recherches
Nul ne sait donc, en l’an de grâce 2022, ce que sont devenus les fiancées de Landru. Partant de l’hypothèse que des restes de cadavres pouvaient avoir été découverts, dans les mois qui suivirent chaque disparition, nous avons longuement recherché dans les archives officielles et les principaux journaux de l’époque – quelques lignes relatant la découverte de cadavres ou restes humains dans un large périmètre autour de Vernouillet et Gambais entre 1915 et 1919. Hélas, en raison d’une grave pénurie de papier, à cette époque, les quotidiens contenaient un maximum de trois pages. Or, elles étaient toutes occupées par les nouvelles du front et la politique. Comme les femmes de l’affaire Landru, les faits divers ont disparu durant toute cette période ! Dans ces conditions, vous comprendrez que nous soyons resté sur notre faim…
Extrait de l’ouvrage « Landru, le prédateur aux 283 conquêtes » par Michel Malherbe. © 2017 (Texte et photos sont la propriété de l’auteur et des Editions Ramsay-Marivole)
Michel Malherbe (Ecrivain-Historien) Facebook : https://www.facebook.com/michel.malherbe.1238 Crédit photo & © Copyright : Michel Malherbe