Hypothèses sur les causes de la mort
En l’absence de toute autopsie et faute du moindre cadavre une question se pose toujours : quel pouvait être le procédé employé par Landru pour assassiner ses onze victimes supposées ? Certains esprits cartésiens diront que rien ne prouve – sur un plan purement juridique – que Landru fut un assassin, aucun corps n’ayant été retrouvé. Il convient toutefois de reconnaître que le faisceau de présomptions est tel, qu’il est bien difficile de croire en une simple coïncidence ! Alors, rallions-nous à la thèse officielle : l’assassinat et l’incinération onze ou douze personnes. Quels furent donc les moyens employés par Landru pour neutraliser définitivement ses dix fiancées et le fils de l’une d’entre elles ? Faute d’aveux et à défaut de preuves matérielles, l’action de la police en ce domaine sera limitée aux seules suppositions et la chose demeure malheureusement vraie en l’an 2022 !
Strangulation ?
Ce fut l’hypothèse « officieusement » retenue lors de l’enquête. Facile à mettre en œuvre, cette méthode ne nécessitait aucun moyen particulier. Sinon une détermination sans faille, une certaine force physique et un sang-froid à toute épreuve. En ce dernier domaine, Landru ne devait pas manquer… Au cours de la seconde perquisition opérée à Gambais, une fiole ayant contenu des somnifères sera découverte. Il est donc envisageable que ces femmes puissent avoir été tuées durant leur sommeil, ce qui rendait la chose plus facile pour le tueur. Et puis, en dehors de l’usage éventuel de narcotiques, il convient de ne pas perdre de vue l’hypnose dont Landru fut – semble t-il- un fervent adepte. Lors des perquisitions effectuées à son domicile de la rue de Rochechouart et au local loué par Landru à Clichy, deux minces cordelettes se terminant par un nœud coulant et présentant des traces de sang, seront saisies par les enquêteurs. Elles auraient donc pu être utilisées pour des strangulations au moyen de ces liens. Strangulations manuelles ou aux liens ? Peu importe, il s’agit toujours, en matière de médecine légale, d’asphyxies mécaniques, car le processus est le même dans les deux cas ! Cette hypothèse nous y croyons fermement pour plusieurs raisons. Landru semblait avoir été traumatisé par le suicide par pendaison de son père. Il en parlait assez souvent à son entourage. En prison, il tentera lui-même de se donner la mort par ce moyen. Mais surtout, il y a cette terrible phrase prononcée à deux reprises, lors de son arrestation et lors de son procès :
« La strangulation est la mort la plus douce… ».
Lorsque le commissaire Amédée-François Dautel découvrira à Gambais les trois cadavres de chiens dissimulés sous un tas de feuilles, ceux de Mme Marchadier et celui de son amie, Landru dira que ces chiens étaient à lui et précisera :
« Je les ai tués pour ne pas payer l’impôt sur les chiens. Je les ai étranglés. C’est la mort la plus rapide. On ne souffre pas ! »
Empoisonnement ?
En ce qui concerne l’hypothèse d’assassinats au moyen d’un quelconque poison, rien n’est certain. Si un ouvrage traitant de divers poisons a bien été découvert lors des perquisitions, aucune substance prête à l’emploi ne sera retrouvée. Comme le souligne si justement Alphonse Boudart, dans son ouvrage consacré aux grands criminels :
« Pour l’empoisonnement, on n’a jamais relevé d’achat d’arsenic ou de mort-aux-rats dans ses carnets de comptes où il n’aurait pas manqué d’en faire état… »
Personnellement, nous ne croyons pas trop en la thèse de l’empoisonnement, car s’agissant de substances classées et réglementées, il était peu facile de s’en procurer sans laisser de trace sur les registres spéciaux. Or, ces mêmes registres ont été vérifiés – au plan national – dans le cadre de l’instruction du dossier, par une note adressée à tous les Parquets de France. A charge pour ces derniers de répercuter la consigne à tous les services de police et de gendarmerie de leur ressort judiciaire. Rien n’a été trouvé dans les registres des pharmacies, tant sous le nom de Landru, que sous celui de ses nombreux faux patronymes…
Armes à feu ?
Il sera découvert à Gambais, lors de la première perquisition, quelques étuis provenant de munitions de revolver ainsi que des cartouches de chasse en calibre .16. Or, lors de la seconde perquisition, plus minutieuse, cette fois, toujours aucune trace de ces armes à feu. Pourtant, l’achat de ces cartouches était bien consigné dans les carnets comptables de Landru… Étant donné qu’il s’agit de douilles vides, elles ont bien été tirées à un moment donné (dixit : M. de la Palice). Mais sur quoi ? Par qui ? – Mystère ! Une chose est certaine, l’usage d’une arme à feu ne passe pas inaperçu. Or, le voisinage n’a jamais signalé le moindre coup de feu en provenance de la villa Tric. Mais il est également vrai qu’un revolver de petit calibre, comme par exemple le 22 long rifle, ne produit pas une très forte détonation. La maison étant dotée de mur épais et située assez loin de la première habitation, le tir de munitions peu puissantes pouvait donc ne pas être perceptible, surtout en journée. D’autant que la détention de plusieurs armes à feu sera attestée par les témoignages de son fils Charles et ceux de Fernande Ségret. A ce sujet, cette dernière dira au juge d’instruction que Landru était d’une adresse telle, au revolver, qu’elle lui a vu traverser la cloche de la porte à une dizaine de mètres de distance. Cette affirmation sera vérifiée par les policiers lors de l’enquête. La petite cloche en métal, située à l’angle de la maison, a bien été traversée de part en part par un projectile de petit calibre… Mais, alors où donc est passé ce même revolver ? Une interrogation de plus… Partant du principe que Landru a été interpellé à un moment où il ne s’y attendait pas, il n’avait aucune raison de se défaire préventivement de ces armes. La logique voudrait donc que ces mêmes armes à feu soient restées dans la villa de Gambais. Pour mémoire, les scellés n’ayant pas été apposés après la première visite domiciliaire, opération très sommaire aux dires du commissaire Dautel, la villa Tric a reçu un grand nombre de visiteurs indésirables entre les deux perquisitions. La villa fut littéralement pillée. Il est donc raisonnable d’envisager que ces armes, dont la police était passée à côté la première fois, puissent avoir été emportées par l’un des pillards. En ce cas, il est bien évident que l’intéressé se sera bien gardé de signaler sa trouvaille aux autorités !
De même, à notre humble avis, les cadavres des trois chiens de Mme Marchadier auraient mérité un examen poussé, dans le but d’y rechercher d’éventuelles traces d’impacts. Ce que la police a volontairement omis de faire… Car, pendre trois gros chiens au moyen d’une ficelle ne nous semble pas chose aisée ! Il était alors moins risqué pour Landru d’utiliser un revolver. Décidemment, les enquêteurs sont passés à côté de beaucoup de choses lors des investigations !
Une cible nommée Célestine Buisson…
En consultant le dossier de l’affaire, à la recherche du moindre détails utile, notre attention a été attirée par une photographie portant la référence 3289. Il s’agit d’un cliché représentant Célestine Lavie, veuve Buisson, lequel ne comporte pas moins de seize impacts de projectiles tirés au moyen d’une arme à feu de petit calibre. En notre qualité d’expert en balistique, avec une expérience de trente années en ce domaine spécifique, nous pouvons apporter la certitude qu’il s’agit bien d’impacts engendrés par une arme de petit calibre, vraisemblablement du .22 LR (5,6 mm). Or, ce cliché-cible provenant des documents découverts lors des perquisitions, aurait été mis sous scellé comme tel. Donc avec des traces d’impacts, lesquelles n’ont pas – pour autant, semble t-il – attirées l’attention des enquêteurs ! Il est vrai qu’à l’époque les policiers n’étaient pas formés en matière de balistique, même élémentaire… Notre découverte n’apporte pas d’éclairage vraiment nouveau sur cette affaire, sinon un élément à charge de plus. En effet, quelle raison impérieuse a poussé Landru à tirer autant de projectiles sur cette photographie, sinon une certaine rage et un mépris visible pour sa victime supposée ! Mince satisfaction toutefois. Cette procédure, qui a pourtant été longuement étudiée depuis 1922, n’avait pas encore permis de mettre à jour cette anomalie, pourtant flagrante…
Armes blanches ?
Si l’on retient l’hypothèse que Landru aurait réellement escamoté onze victimes, chose qu’il est encore impossible d’affirmer en l’an de grâce 2022, faute de preuves matérielles, il disposait certainement – pour dépecer ses victimes post-mortem – de robustes couteaux de boucherie et de quelques scies à métaux, dont les achats figurent, du reste, dans la comptabilité méthodiquement tenue par Landru ! Avec ces couteaux, il avait donc les moyens matériels pour tuer à l’arme blanche. Toutefois, cette hypothèse se heurte à un problème purement technique : le sang ! Même sans égorgement, une plaie par arme blanche saigne beaucoup. La mort est rarement immédiate et tant que le cœur continu de battre, le sang circule dans le corps. Or, lors des constatations faites à Gambais, seules quelques faibles traces de sang furent découvertes. Principalement sur la table de la cuisine et sur une chape en béton se trouvant dans la cave. Il est fort possible que ce support en béton puisse alors avoir été utilisé pour découper les victimes. Autre anomalie notable. Landru, s’il faut en croire ses carnets, avait fait l’acquisition d’un grand nombre de lames de scie. Mais lors de la seconde perquisition, une seule de ces scies sera découverte. Alors ? Egalement emportées par les pillards ? Les lames et les scies qui allaient avec ? Pourtant, des documents prouvent qu’entre le 16 juillet 1916 et le 6 mars 1918, Landru a fait l’acquisition de 84 scies à métaux, plus quelques scies de bucheron et des scies circulaires, pour un montant total de 41,45 francs…
Voici quelques achats mentionnés dans le carnet de dépense de Landru :
- 12 lames de scies à métaux : 0,50 = 2 francs
- 4 lames de scies : 0,22 x 12 = 6,60 francs
- Une scie à bûches : 4,25 francs
- Six douzaines de scies à métaux : 25 francs
Il semble indéniable que la non apposition de scellés sur cette scène de crime, ainsi que l’absence de conservation des lieux, a grandement compliqué les choses. La disparition de pièces à conviction essentielles a certainement mise à mal la procédure au plan légal. Enfin, il semblerait que les prélèvements sanguins effectués sur les lieux n’aient fait l’objet d’aucune exploitation scientifique poussée. Certes, la police ne disposait – à cette époque – que de moyens techniques très rudimentaires et surtout d’aucun personnel formé à cette discipline particulière. En ce domaine, c’était encore le Moyen-Âge. Mais l’équarrissage de onze personnes devrait normalement avoir laissé des traces… D’autant que les résidus sanguins sont très tenaces, même lors d’un lavage à grande eau ! Force est de constater que cette enquête a été menée assez légèrement en certains domaines. La justice semble s’être contentée de l’avis de quelques techniciens de l’identité judiciaire, spécialisés dans les relevés d’empreintes digitales, alors qu’une véritable expertise scientifique aurait été nécessaire. Mais, en 1920, avions nous en France de véritables experts en matière de criminalistique ? En dehors du professeur Edmond Locard à Lyon, la réponse est non !
Un travail de Titan !
Contrairement à une rumeur qui semble avoir la vie dure, la procédure relative à l’affaire Landru n’a pas été bâclée pour autant ! Par contre, il convient d’admettre que, faute de temps et de moyens, les enquêteurs sont passés bien des fois à côté de choses essentielles. Pourtant, ces policiers ne sont pas restés inactifs. Lorsque l’on consulte la procédure du dossier Landru, le nombre de rapports et procès-verbaux, plusieurs milliers, rédigés à la main, dans la majorité des cas, a vraiment de quoi donner le vertige ! Près deux mille documents en ce qui concerne les services de police et pratiquement le double d’actes pour l’instruction judiciaire… De même, des centaines de recherches seront entreprises à l’échelon national. Le moindre renseignement, même le plus invraisemblable, faisant alors l’objet d’une enquête. Les policiers ont également poursuivi quelques investigations hors des frontières : Allemagne, Italie, Belgique et Suisse. Souvent pour un résultat néant, car la piste alors exploitée était fausse. Nos collègues d’antan semblent avoir été dépassés par l’événement… Car, rappelons-le, les effectifs disponibles au sein des brigades mobiles et de la police judiciaire parisienne étaient bien maigres à cette époque. La guerre ayant fait des ravages dans les rangs policiers, certains limiers qui avaient l’expérience de l’investigation criminelle seront très difficiles à remplacer au pied levé. Ce qui explique, en grande partie, que cette affaire a démarré sur la base d’un cadre judiciaire plus que bancal, avec beaucoup de vices de procédure et une arrestation en limite de l’arbitraire ! Plus qu’un simple emploi, le métier de policier d’investigation est avant tout un état d’âme. Il nécessite bien des vertus et pas des moindres. N’est pas « poulet » qui veux !
Liste des victimes supposées (Dans l’ordre de leur disparition)
Villa « The Lodge » à Vernouillet (78)
1 – André-Georges Cuchet – (17 ans)- Disparu en février 1915 à Vernouillet (78)
2 – Jeanne Jamast, Veuve Cuchet – (39 ans) –Disparue en février 1915 à Vernouillet (78)
3 – Thérèse Laborde-Line, née Thuran – (47 ans) –Disparue en juin 1915 à Vernouillet (78)
4 – Marie-Angélique-Désirée Pelletier, Veuve Guillin – (52 ans) – Disparue le 26 août 1915 à Vernouillet (78)
Villa « Tric » à Gambais 78
5 – Berthe-Anna-Henry, Veuve Héon – (55 ans) –Disparue le 8 décembre 1915 à Gambais (78)
6 – Anna Moreau, Veuve Collomb – (44 ans) – Disparue le 27 décembre 1916 à Gambais (78)
7 – Andrée-Anne Babelay – (19 ans) –Disparue le 12 avril 1917 à Gambais (78)
8 – Célestine Lavie, Veuve Buisson – (46 ans) – Disparue le 1er septembre 1917 à Gambais (78)
9 – Louise-Joséphine Barthélémy épouse Jaume-(38 ans) – Disparue le 26 novembre 1917 à Gambais (78)
10 – Anne-Marie Pascal- divorcée Gabriel- (38 ans) – Disparue le 5 avril 1918 à Gambais (78)
11 – Marie-Thérèse Marchadier – (38 ans) – Disparue le 13 janvier 1919 à Gambais (78)
Extrait de l’ouvrage « Landru, le prédateur aux 283 conquêtes » par Michel Malherbe. © 2017 (Texte et photos sont la propriété de l’auteur et des Editions Ramsay-Marivole)
Michel Malherbe (Ecrivain-Historien) Facebook : https://www.facebook.com/michel.malherbe.1238 Crédit photo & © Copyright : Michel Malherbe