La villa de Gambais

Henri-Désiré Landru «  La villa de Gambais » Michel Malherbe (Ecrivain-Historien)

Landru a quitté précipitamment la maison louée à Vernouillet, lieu de ses premières exactions. Il était temps, car l’air était devenu malsain pour lui. Le voisinage étant devenu trop curieux, il est à la recherche d’une villa plus tranquille. Ses pas le porteront en premier lieu à Outarville (Eure-et-Loir.) Mais la maison proposée ne lui convient pas, les voisins étant trop près. La seconde sera la bonne. Elle est située à Gambais (78) sur la route menant à Houdan, une belle bâtisse au milieu des champs. Landru visite cette villa le 15 septembre 1915. Mais, il ne se décide à la prendre que dans le courant du mois de décembre.

Lors de la visite, Landru s’est présenté comme étant M. Raoul Dupont, ingénieur, domicilié à Darnétal dans la banlieue de Rouen (76). Cette première visite sera effectuée par le cordonnier de Gambais, M. Pierre Vallet. Il agit alors pour le compte de M. Auguste Tric, propriétaire des lieux, entrepreneur en maçonnerie demeurant à Melun. Cette villa a été construite par ses soins en 1897. Il l’occupera quelques temps avant de la mettre en location après le décès de son épouse. De fait, plusieurs locataires y demeureront avant Landru. C’est un vaste et beau domaine. Au rez-de-chaussée se trouvent quatre pièces et une cuisine. Au premier étage deux chambres et un grand grenier. La maison est également dotée d’un sous-sol total. Il est accessible au niveau de la cuisine, par un petit escalier de pierre. La villa est entourée d’un immense terrain boisé (environ 6000 m2) dont une partie a été aménagée en jardin potager. Des dépendances : hangars, cellier et buanderie, sont également présents en partie arrière. Landru dira à son guide improvisé :

– Je la trouve parfaite !

Le grand jardin et ses dépendances séduiront immédiatement Henri-Désiré Landru. Il a parfaitement assimilé le potentiel offert par cette belle propriété. A tel point que le mandataire, devant son enthousiasme, lui propose de l’acheter plutôt que de la louer ! Landru semble réfléchir quelques instants et rétorque :

– Dans le principe, je ne suis hostile à cette idée, mais avant de prendre cette lourde décision, je préfère habiter la villa durant quelques mois…

En fait, sa décision est déjà prise à ce moment. N’ayant pas les moyens financiers nécessaires pour réaliser un tel achat, il doit se limiter à une simple location. Trois jours plus tard, il signera un engagement de location avec le propriétaire, M. Tric, lequel est venu spécialement de Seine-et-Marne pour cette transaction. Le montant annuel du loyer est alors fixé à 400 francs. Les clés lui sont alors remises, Landru est maintenant chez lui…

Son premier soin sera de se rendre chez un quincaillier de Houdan pour passer commande d’une petite cuisinière à charbon, laquelle sera livrée deux jours plus tard à Gambais avec six sacs de combustible. Il pendra donc la crémaillère en compagnie de Mme Héon, alias « Havre », laquelle sera la 5e des victimes supposées et la première disparue de Gambais ! Voici l’audition de Pierre Vallet, alors cordonnier à Gambais, telle qu’elle figure dans le procès-verbal A 8705 du 2 mai 1919 de l’inspecteur principal Nicolle de la PJ.

« La villa de M. Tric était inoccupée depuis 1911, époque à laquelle le précédent locataire, M. Raveton, l’avait quitté pour aller habiter à Meudon. M. Tric, qui avait l’intention de vendre sa propriété, avait apposé une pancarte l’indiquant. Le 13 ou le 16 janvier 1916, Landru, que je ne connaissais pas avant, est venu me demander à la cordonnerie s’il pouvait louer la villa. Je lui ai indiqué l’adresse de M. Tric, rue de l’Hôtel-de-Ville à Melun, et la location a été effectuée quelques jours après. Depuis, Landru a habité d’abord la propriété d’une façon continue pendant un temps que je ne puis déterminer, en compagnie d’une femme. Puis il s’est absenté et il ne venait à Gambais que de temps à autre, avec des intervalles irréguliers et n’y restait que deux ou trois jours. Souvent, il était accompagné de femmes différentes… »

Sus aux pillards

Après l’affaire Landru, le propriétaire, Auguste Tric, aura bien du mal à récupérer son bien et encore bien plus de difficultés à vendre cette propriété. En dehors du contexte historique très particulier, cette maison avait été odieusement vandalisée par des rapaces de la pire espèce. Tout était à refaire, rien ou presque n’avait résisté à ces hordes de pillards. Voici l’état des lieux décrit par le Petit Journal du 5 novembre 1921. Juste avant l’ouverture du procès Landru :

« Rien de visible en façade, mais lorsque  l’on fait le tour par l’arrière, c’est alors un spectacle de désolation. La porte a été enfoncée, des plâtras maculent le sol. En entrant, force est de constater que cette maison a été mise à sac. Les vitres ont été brisées, les marbres des cheminées sont en miettes, le papier peint arraché par pans entiers. Les serrures sont arrachées, les boutons de portes ont été volés. Sur un grand pan de mur du salon, un artiste amateur a dessiné une fresque représentant Landru et sa cuisinière et cette légende : « M. le juge Bonin demeure confondu devant l’anodin sourire de Landru ». On raconte dans tout le pays que de nombreux visiteurs sont venus en automobile et ont emporté des « souvenirs ». Presque tous les murs supportent des graffitis dont par exemple : « Brûler ce qu’on a adoré est une des joies de la vie. » Cette pensée profonde est signée : Antoinette. »

Le Grillon du Foyer

Au mois de mars 1924 – deux ans après l’exécution de Landru à Versailles – M. Auguste Tric, propriétaire des lieux, n’a toujours pas récupéré son bien immobilier. Cette villa étant toujours placée sous séquestre judiciaire, le malheureux homme va devoir saisir le Conseil d’Etat. Il n’obtiendra gain de cause que deux années plus tard… En 1927, cette propriété sera acquise par un couple de restaurateurs, les époux Coussegal, dans le but d’en faire une hostellerie de prestige. Avec un certain cynisme ou un évident mauvais goût, c’est selon, l’établissement portera l’enseigne : « Au Grillon du Foyer ». Le bas de la maison, après suppression de certaines cloisons, sera aménagé en une grande salle de restauration, dont une partie sera dédiée à une sorte de petit musée Landru.

Cette hostellerie dispose alors de quelques chambres à l’étage. Des tables en terrasse et un parking seront proposées en partie arrière, dans l’immense terrain qui entoure alors la villa. Cet établissement va connaître un vif succès, les parisiens en goguette ne manquant pas de s’y attarder. D’autant que la spécialité de la maison aurait été la viande cuite au grill dans la plus grande des cheminées. Le clou étant alors la cote de bœuf Landru…   Lors d’une interview accordée à Paris-Soir, le 2 décembre 1934, Mme Coussegal apportera quelques précisions intéressantes :

« Après l’arrestation de Landru et jusqu’en 1927, la maison fut vide. Personne ne voulait l’habiter.

Et quand je dis vide, vous pouvez m’en croire. Les plinthes, les cabinets, les boutons de portes, des bouts de mosaïque, des lambeaux de tapisserie, les curieux avaient tout arraché pour avoir des souvenirs de Landru. Il nous a fallu tout refaire, mais ce qui était encore « de son temps », nous l’avons respecté, naturellement. Et puis, un peu plus tard, il y a eu cette bien étrange visite. Un jour, un jeune homme en noir est venu. Il n’a pas donné son nom. Il ne nous a parlé que pour demander une chambre, et pour nous prier de le laisser seul. Il a fait le tour de la maison. Il est descendu dans la cave, il y est resté longtemps. Il a regardé le jardin, il s’attardait devant les photographies. C’est pendant qu’il se penchait dans le vestibule, avec une attention extraordinaire sur le grand portrait de l’assassin, que j’ai tout à coup remarqué ses yeux, très enfoncés, ses cheveux d’un noir profond ; son teint pâle, sa bouche aux lèvres roulées. Le fils de Landru était venu rendre visite à son père…

Cette hostellerie fermera ses portes en 1940, alors que l’occupant Allemand arrive en France pour un séjour militaro-touristique de cinq années ! Par contre, en ce qui concerne cette même demeure, nous ne savons pas grand chose des années d’après-guerre, sinon que la villa aurait été utilisée un temps comme maison galante !  Enfin, en juillet 2017, selon nos propres recherches, cette villa de style était encore la propriété de particuliers domiciliés à Paris. Ils en étaient propriétaires depuis 1998 sous la forme d’une société civile immobilière et ils y venaient assez rarement. La maison est maintenant entourée de constructions assez récentes en sa partie droite. La face gauche est située en bordure d’un grand champ agricole. En sa configuration actuelle, elle n’aurait sans doute pas convenue à Landru en raison d’un voisinage trop proche !

A la recherche des fantômes d’antan… (août 2017)

Tout naturellement, en qualité d’historien et dans le cadre de notre ouvrage en cours, nous partirons à la recherche de cette mystérieuse « Villa Tric ». Bien qu’elle ne porte alors aucun numéro, elle est située rue de l’Eglise à Gambais (78130). C’est une grande bâtisse discrète, une belle demeure qui semble presque à l’abandon lors de notre visite. Visiblement les riverains préféreraient oublier l’histoire de cette belle et grande maison. Il suffit de demander où elle se situe, pour que les habitants vous toisent bizarrement.

– Tiens ! Encore un fada, pensent-ils sans doute…

Après quelques tentatives infructueuses, la mairie étant close l’après-midi en période estivale, nous obtiendrons enfin notre renseignement, via un commerçant. Les explications sont claires et force est de reconnaître que sans ces précisions, nous serions passé dix fois devant sans la découvrir. Elle est située en sortie du bourg, au milieu des champs, sur la ligne droite de la R.N. 183, en direction de Houdan. Pour ne rien arranger, un énorme bosquet masque en partie cette villa. Du reste, tout autour de cette habitation, la végétation semble avoir repris ses droits ! La rouille s’est installée sur les volets et les deux portails.

L’auteur n’est généralement pas d’un naturel émotif, trente années de police judiciaire étant de nature à durcir quelque peu l’esprit. Mais en ce mois d’août 2017, nous avouons humblement avoir éprouvé une certaine gêne ! En premier lieu, celle du voyeur morbide, mais également autre chose d’indéfinissable, une sensation proche du paranormal ! Notre pensée sera immédiatement accaparée par une image virtuelle. Nous imaginons alors Henri-Désiré Landru, tout de noir vêtu, chapeau melon sur la tête, barbe bien taillée, descendant du fiacre de Houdan avec l’une de ses malheureuses victimes pendue à son bras. Pauvre femme qui est alors bien loin de se douter que ce trajet en fiacre sera pour elle le dernier… Alors que rien ne s’y prête vraiment, sinon la part historique très chargée, l’atmosphère est pesante au plan émotionnel. Cette visite extérieure – car tout est clos et personne n’y demeure encore – était motivée par un besoin irrésistible de mieux vivre le sujet en s’imprégnant de cette ambiance glauque. Car pour bien décrire les choses, il faut les avoir vu ! Selon un témoignage, la « villa Landru » serait devenue une curiosité incontournable. C’est de nos jours l’étape surnaturelle des nombreux rallyes de la région. Il n’est pas rare également que des cars de tourisme s’y arrêtent quelques instants, les voyageurs étant alors agglutinés derrière les glaces, appareils photos en batterie, traquant alors un éventuel retour de Landru ou de son fantôme… Et pas seulement des touristes japonais, semble t-il !

Sur environ 6000 m2 de parc arboré – 450.000 euros…

Au printemps 2018, cette villa, nommée improprement « maison de Landru », car il n’en fut jamais le propriétaire, sera proposée à la vente par une agence immobilière de la région : « La Poule Faisane », car c’est sa raison sociale. Voici ce que dit l’annonce commerciale :

« Dans un village proche de Montfort-L’Amaury, maison Mansart à restaurer. Entrée, double séjour, grande cuisine pièce à vivre, 6 chambres dont une au rez-de-chaussée. Dépendances, dont un grand salon d’été, très beau parc arboré d’environ 6000 m2. Maison au passé historique. Belle allure générale. »

Cette villa a trouvé preneur au bout de quelques mois et les nouveaux occupants, d’après ce que nous avons pu comprendre, souhaitent jouir en paix de leur bien. Comme on les comprend !

Inutile donc de vouloir jouer les voyeurs ! Circulez braves gens. Landru est définitivement aux abonnés absents et il n’y a plus rien à voir…

Extrait de l’ouvrage « Landru, le prédateur aux 283 conquêtes » par Michel Malherbe. 

© 2017 (Texte et photos sont la propriété de l’auteur et des Editions Ramsay-Marivole)